LE LUXE ET SES VALEURS | DE L’AFFIRMATION DU POUVOIR À LA DÉMOCRATISATION D’UN MODE DE VIE

LE LUXE ET SES VALEURS | DE L’AFFIRMATION DU POUVOIR À LA DÉMOCRATISATION D’UN MODE DE VIE

Certains diront que le luxe, c’est de pouvoir s’afficher au volant d’une Porsche, alors que pour d'autres, ce sera de porter la dernière création de Gucci. Alors que pour certains, il symbolise la richesse et la réussite, pour d'autres il est synonyme de raffinement, de beauté et de prestige. Réservé souvent à une toute petite élite, il suscite toutefois le rêve et le désir chez la plupart d’entre nous. Notion à la fois subjective et éternelle, le luxe fascine les civilisations depuis des milliers d’années. Les valeurs du luxe sont-elles les mêmes aujourd’hui qu’au temps des pharaons ? Quel pouvoir exerce-t-il dans notre société ? À quoi ressemblera le luxe de demain ? Voici quelques réponses.  

DES TRACES D’OBJETS DE LUXE DATANT D’IL Y A PLUS DE 30 000 ANS

Selon l’historien Jean Castarède, auteur du “Grand livre du Luxe” aux éditions Eyrolles, le luxe apparaît dès la préhistoire. De l’art pariétal aux sculptures minutieusement travaillées, nous avons la preuve que l’homme préhistorique était sensible à la beauté, à l’art et à la réalisation d'objets pour le plaisir uniquement. Le concept de richesse n'existait pas à cette époque. Pour nos ancêtres primitifs, le luxe, c’était prendre du temps pour soi, pour s’évader, pour raconter des histoires et pour se divertir.

Un peu plus tard, autour de 10 000 ans avant J.-C., les hommes se sédentarisent, des villages et des villes apparaissent. Au Ve siècle avant J.-C., on voit naître la première civilisation de l’histoire de l’humanité : les Sumériens. On leur doit notamment l’invention de l’écriture, de la roue, de la médecine, de l’astronomie, des religions, mais aussi du commerce et du système d'impôts. Nos ancêtres du croissant fertile ont tout inventé, y compris un phénomène indissociable du luxe : les variations de la mode vestimentaire et de l’apparence en général. 

Grotte d’Altamira, Espagne.

LE LUXE SACRÉ ET L’ACCÈS À LA VIE ÉTERNELLE

Les divinités occupent une place importante dans la vie quotidienne des Mésopotamiens et dans les civilisations de l’antiquité en général. Elles protègent le peuple des fléaux et assurent sa prospérité. Mais lorsque la colère des dieux éclate, c'est catastrophe sur catastrophe. Alors pour assurer le coup, temples et sanctuaires sont érigés à leur effigie. Toute une économie du luxe voit le jour. Décors somptueux, offrandes quotidiennes, bijoux précieux, et même plats raffinés sont destinés aux divinités. 

 

Dans l’Egypte antique, le luxe était une sorte d’assurance pour accéder à l’immortalité. Accessible à une toute petite élite, le rituel de la momification était réalisé avec beaucoup de soin par des prêtres embaumeurs. Éviscération minutieuse, organes lavés avec du vin de palme et utilisation d’onguents aussi précieux que l’or, le rituel funéraire relevait véritablement de l’artisanat de luxe. Seuls les pharaons, grands prêtres et quelques personnages de haut rang pouvaient prétendre à un tel traitement et être inhumés avec toute leur richesse afin de s’assurer un passage dans l’au-delà sans encombres. 

LA RECHERCHE DE LA PERFECTION ESTHÉTIQUE

On peut difficilement dissocier le luxe du beau, c'est un fait. Et ce n'est pas Cléopâtre qui nous dira le contraire. Mythe de la beauté, reine du luxe, séductrice et envoûtante, elle incarne la perfection esthétique. Parfums, soins du corps, huiles capillaires, elle passe des heures à cultiver sa beauté légendaire. Incarnation du luxe au féminin, adorée, vénérée, elle est élevée quasiment au rang de déesse. Ses tenues sophistiquées, son parfum envoûtant, ses coiffures travaillées, son maquillage soigneusement détaillé, couplé à une élégance sans faille suscitent l’envie chez la plupart des femmes. Elle est probablement une des premières influenceuses de l’histoire de l’humanité. Elle incarne la beauté inaccessible, le rêve et le désir, trois grands concepts du marketing du luxe encore utilisés aujourd’hui.

UN MOTEUR PUISSANT DE DÉCOUVERTES ARTISTIQUES, ARCHITECTURALES ET TECHNIQUES 

CHRISTIANISME ET FÉODALITÉ

Avec la chute de l’Empire romain et la christianisation de la population, l'Église arrive à la tête du pouvoir. Bien souvent plus riche et plus puissante que les rois eux-mêmes, elle ne recule pas devant les dépenses sous prétexte de convertir un maximum de païens. C’est l’époque de la construction des cathédrales grandioses, des chefs-d 'œuvre artistiques et des trésors d’une richesse inestimable rapportés des croisades.

Le pouvoir de la société féodale était également détenu par les monarques, seigneurs et chevaliers. Eux non plus ne se privaient pas pour étaler leur richesse notamment dans les textiles. La circulation des marchandises et les croisades favorisant les échanges, la noblesse se pare des tissus les plus précieux, que ce soit dans l’habillement ou pour les décors. Soie, velours, satins, taffetas, fourrures et broderies raffinées, ces produits extrêmement coûteux étaient très recherchés. Affirmation du pouvoir certes, mais aussi un luxe associé au confort de matières douces et protégeant du froid. Ce qui n’était pas négligeable compte tenu de la piètre isolation des habitations à l’époque.

L’ART EST UN LUXE, LE LUXE EST UN ART

Durant la Renaissance, période de renouveau, où la créativité, l’innovation et l’avant-gardisme sont mis à l’honneur, on voit apparaître une autre manière de penser le luxe. Les artistes se détachent des dogmes religieux et placent l’Homme au centre de l’univers. Le luxe se tourne alors vers l’art d’apparat et la beauté individuelle tout en s’inspirant des codes classiques. Grâce à François 1er, fasciné par l’art italien, la France voit débarquer des artistes de grande renommé tels que Donatello, Léonard de Vinci, Raphaël ou encore Michelangelo. 

Saint-Marc, Venise

NAISSANCE DU LUXE MADE IN FRANCE

Au XVIIe siècle, la mégalomanie légendaire de Louis XIV permet au royaume de France de se démarquer dans le monde du luxe. Pour des raisons politico-économiques, le roi soleil, sous les conseils avisés de Colbert, décide de créer un luxe à la Française. On voit alors apparaître les premières grandes manufactures comme celles de St Gobain par exemple. Tapis, soie, céramique, verre, auparavant importés seront désormais produits sur le territoire par des artisans formés auprès de grands maîtres italiens. Versailles, entre autres, se transformera alors en temple du luxe, un luxe d’excellence, un luxe novateur à la recherche constante de la perfection. 

Louis XIV est le roi du faste, du superflu, de la décadence et de la démesure. Il dépense sans compter pour impressionner, faire rêver, émerveiller la cour, le royaume et l’Europe tout entière. La mode à cette époque donnait elle aussi dans l'excès. Étoffes, parures, broderies, dentelles et perles composaient les costumes les plus luxueux fièrement exhibés à la cour royale. Mais trop de luxe tue le luxe. Quand l’élite vit dans l’abondance et que la majorité de la population vit dans le rationnement, le luxe ne fait plus rêver, il révolte. 

NAISSANCE DU LUXE MODERNE

HERMÈS, CARTIER ET VUITTON

Avec la révolution, les manufactures royales perdent leurs privilèges et de ce fait, leurs clients. L’industrie du luxe, si elle veut survivre, doit changer de cible. En misant sur la classe moyenne et la bourgeoisie, on assiste à une rupture des codes. Désormais, les artisans ne sont plus les exécutants, mais deviennent de véritables créateurs. Les commandes sur mesures ne sont plus vraiment d’actualité, les clients achètent un produit fini déjà réalisé. On voit alors apparaître les grandes maisons de luxe que l’on connaît aujourd’hui (Hermès en 1837, Cartier en 1847, Louis Vuitton en 1854). Des grandes marques made in France qui perfectionnent leur savoir-faire dans leur activité en visant l’excellence.

DÉMOCRATISATION DE L’INACCESSIBLE

L’industrie du luxe se trouve une nouvelle fois chamboulée avec l’essor du pouvoir d'achat, l'industrialisation et la mondialisation. La relation à la possession évolue. Nous entrons dans l’ère de la consommation de masse. Si le prestige a toujours fait rêver, il devient alors plus accessible. Victime de son succès, le produit de luxe s’industrialise pour suivre la cadence, mais avec une qualité au rabais. Il n’appartient plus désormais exclusivement à une élite, il s’étend à la classe moyenne. La confusion s’installe. Quid de l'exclusivité et de la rareté si le luxe est partout ?

L’ÉPHÉMÈRE INTEMPOREL

Un peu dans l’impasse et ne pouvant faire face à la concurrence grandissante, les grandes maisons scindent le luxe en deux catégories. On continue à répondre aux désirs de l’élite avec de l’authentique et du prestigieux, mais on vise aussi une génération ancrée dans le paraître et les apparences. C’est ainsi que l’on verra alors Karl Lagerfeld s'associer à H&M et Hugo Boss collaborer avec le PSG pour le lancement de ligne de vêtements haut de gamme. Stratégie révolutionnaire dans le monde du luxe, les collections capsules sont distribuées à grande échelle sur une période très courte. Avec un accès très limité, le désir et la rareté sont conservés. Et ça marche, puisqu’on assiste parfois à de véritables émeutes à l’entrée des magasins.

 

RÉSEAUX SOCIAUX ET CULTURE DE L’IMAGE

La révolution numérique et l'émergence des réseaux sociaux ont une fois de plus bouleversé les codes. Avec près de 20 % des articles de luxe achetés en ligne, les grandes marques misent désormais aussi sur le digital. Les réseaux sociaux ont également une importance considérable car ils sont le miroir de la société, des tendances et des attentes des consommateurs. Ils sont un moyen pour les grandes marques de se rapprocher de la génération Z, les consommateurs de demain en quête d’authenticité. Instagram, Snapchat, Facebook et Tik Tok, sont les canaux les plus utilisés par les 16-25 ans. Le marketing de luxe vise la transparence pour se rapprocher de cette cible connectée, perméable aux émotions et au storytelling. En partageant son histoire et ses valeurs, le luxe dévoile une partie de ses secrets. 

QUELLES SONT LES VALEURS DU LUXE DE DEMAIN ?

BESOIN D’ÉTABLIR UNE RELATION DE CONFIANCE

La crise sanitaire que nous subissons depuis mars 2020 a plongé le monde dans une confusion inédite. Les détenteurs de vérités sont aujourd’hui remis en cause et les institutions suscitent la méfiance générale. Ce sentiment d’incertitude transparaît également dans notre rapport à la consommation. Et l’univers du luxe n’est pas épargné. Aujourd’hui, plus que jamais, les consommateurs ont besoin de faire confiance. Ils ne s'intéressent plus seulement au produit lui-même, mais aux valeurs de la marque. Pour s’adapter, le luxe devra se démarquer par la transparence, l'honnêteté, la capacité à tenir ses promesses et le respect de l’être humain.   

UN REPLI SUR SOI ET LA RECHERCHE DU BIEN-ÊTRE

Alors que le confinement a été un véritable traumatisme pour certains, pour d'autres, il a été un moyen de redéfinir les vraies valeurs du bonheur. Frontières fermées, vie sociale réduite, nous avons été poussés à ouvrir les portes d’un voyage intérieur, un repli sur soi, une introspection. Les cartes du luxe sont encore une fois redistribuées. L’apparence, le bling-bling sont délaissés au profit du luxe de confort, du bien-être, du plaisir et de l’expérience sensorielle. 

UNE PRISE DE CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE ET ÉTHIQUE

Plusieurs scandales ont fait prendre conscience, depuis quelques années déjà, que nos habitudes de consommation ont des conséquences dramatiques pour des millions de personnes et pour l’environnement. Cette vérité de plus en plus mise à jour par les médias tend à remettre en question nos priorités. La crise du Covid, accélérateur de ce changement de mentalités, favorise un retour aux valeurs fondamentales du luxe : la qualité et l’artisanat local. Les changements climatiques sont également au centre de cette mutation. On veut du luxe, mais du luxe durable et éco-responsable. Se faire plaisir en protégeant la planète.

Si l’on s’en réfère à la simple définition du Larousse, le luxe caractérise ce qui est coûteux, raffiné et somptueux.

Mais peut-on vraiment définir le luxe en trois mots ? S’il a longtemps été associé au pouvoir et à la richesse dans des sociétés hiérarchisées par la possession, on se rend compte aujourd’hui qu’il est bien plus qu'une histoire d’argent. Profiter d’une balade en forêt, manger un éclair au chocolat, embrasser sa grand-mère, ces instants d’une richesse inestimable ne s’achètent pas mais se ressentent. Profitons de cette crise pour une nouvelle fois redistribuer les cartes. Profitons de cette crise pour créer un luxe qui nous ressemble, un luxe en harmonie avec nos valeurs et avec notre planète.

Par Sylvie Lim

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